QRcodes sauvages, un manifeste 14/10/2025
Chaque jour une question se presse dans mon esprit : les réseaux sociaux ont-ils encore une place légitime dans notre vie ?
Qu'y cherchions-nous là-bas en premier lieu, à l'époque où les usages et les pratiques n'étaient pas encore bien définis ?
Peut-être vous rappelez-vous de toutes ces premières publications timides, vingt ans plus tôt, où l'auteur·ice s'interrogeait, confus·e, sur ce qu'iel pouvait bien faire là ?
Ces réseaux ne nous ont-ils pas détournés de notre véritable objectif, s'il y en a jamais eu un ?
L'expérience n'a-t-elle pas montré que l'on vivait bien mieux sans ?
Le bouton like, le nombre de commentaires ou de repartages... Toutes ces métriques ne nous ont-elles pas fait plus de mal que de bien ? Notre description de profil n'est-elle pas semblable à la fiche produit dans un large catalogue de consommables ? Comment avons-nous pu accepter, même insidieusement, cela ?
Parce que, à ce que je sache et striatum oblige, nous avons abandonné les plateformes de blogging et les forums qui étaient un compromis tout à fait raisonnable entre un certain niveau de technicité nécessaire à la mise en œuvre d'un site, et la solution clé en main pour partager toutes sortes de choses tout en nous rassemblant.
Nous avons accepté de nous soumettre à des pratiques aliénantes contre la promesse de quelque chose que, rétrospectivement, je serais bien incapable de formuler parce que je ne vois pas ce que l'on aurait bien pu y gagner.¹
Quel a pu être le bénéfice de s'inscrire et pactiser avec le diable ?
Comment a-t-on pu accepter de s'exprimer en moins de 500 caractères ? Comment a-t-on pu accepter de se faire déposséder de l'exclusivité des droits de ce que nous partagions ? Comment a-t-on pu accepter de laisser ces entreprises nous analyser de façon aussi intrusive pour savoir quoi nous vendre ?² Comment a-t-on pu accepter de remplacer les flux RSS, qui sont pourtant un standard ouvert du Web, par un feed algorithmique ?³
Les réseaux sociaux n'ont-ils pas créé une myriade de drames humains et politiques, comme jamais on en a vu avant leur avènement ?
Si un site Internet personnel est une expérience particulière du cyber-espace à la forme très variable, le concept émergeant (à l'époque) de weblog amène une structure plus intuitive et ergonomique, puisqu'il prend la forme d'un objet archétypal : un journal.
L'espace de liberté qu'un blog autorise en tant que parcelle du cyber-espace est vertigineux quand on le compare à ce que propose, pour ne pas dire impose, les plateformes auxquelles nous sommes aujourd'hui habitués. La différence fondamentale étant sa temporalité. Un blog est son propre feed, dont l'origine n'est généralement matérialisée que par une seule personne. L'écoulement de ce feed ne peut se faire qu'au rythme naturel de l'humain singulier derrière. Cette lenteur relative autorise le blogueur à prendre son temps pour développer sa pensée, son propos, son projet. Et réciproquement ce rythme permet au lecteur de savourer, réfléchir et approfondir le travail du blogueur. Cette temporalité est une première dimension fondamentale de liberté. La seconde dimension serait l'espace de rédaction lui-même qui autorise de nombreuses mises en forme et ne limite pas la longueur du texte.
Pour bien comprendre la malfaisance absolue des réseaux sociaux dans leur conception, ajoutons maintenant à ce blog un bouton cliquable numéroté dont les chiffres vous notifient, sur votre propre parcelle du Net et sans que vous puissiez y faire quoi que ce soit, que quelqu'un s'est exprimé. Et d'ailleurs si vous ne cliquez pas sur ce bouton, le chiffre augmente. Ce chiffre ne s'arrêter jamais d'augmenter et devient horriblement pressant. Alors vous cliquez et essayez de suivre le flux constant de ce que tout le monde dit. Et soudainement l'espace temporel se contracte brutalement. Le débit d'information et sans commune mesure. Ni vous ni celleux en face ne peuvent prendre le temps d'exprimer quoique ce soit convenablement, ni assimiler ce qui se déverse dans l'esprit de chacun. Vous pouvez désactiver ce bouton mais le drame demeure, parce que ce bouton est une porte. Une porte fermée dont l'existence persiste et qui appelle à être ouverte à nouveau. Et derrière la porte le bruit étouffé de la cacophonie numérique vous parvient malgrè tout. Elle vous remplie d'un vide immense. Un silence assourdissant et culpabilisant vous murmure que vous n'êtes pas là où tout se passe.
Et à mesure que vous prenez quand même le temps de faire et d'assimiler les choses, vos contributions à la grande orgie numérique deviennent inaudible, illisible.
Invisible.
Ce bouton sur votre blog, c'est Facebook, Instagram, Twitter, Tiktok...
C'est Diaspora*, Mastodon ou Pixelfed qui miment ce que produit le capitalisme sans en comprendre ni questionner la nature maléfique.¹⁴
Mais ça ne s'arrête pas là. Ce n'est pas juste le temps qui se contracte. C'est l'espace physique de la pensée aussi ! À l'inverse de votre site ou de votre blog, sur un réseau social vous êtes contraint à être concis. Soit parce que c'est une limitation par construction, soit parce que la nature même de cet espace vous incite à dérouler les publications sans vraiment les lire entièrement, puisque lire consomme du temps et comme on l'a vu un feed n'est pas fait pour prendre le temps. Alors à quoi bon prendre le temps d'y rédiger et de développer quelque chose, puisque ceux en face ne lirons pas plus que vous ne le faites ?
Et ce n'est pas fini. Parce qu'à ces choses que l'on a intériorisées sans s'en rendre compte, à mesure de la lente mutation d'Internet en quelque chose de monstrueux et méconnaissable, s'ajoute la publicité, les partenariats commerciaux, les sponsors.
Du bruit constant, par-dessus des dysfonctionnements normalisés, par-dessus des idéaux dissonants...
Ce qui était auparavant sur l'écran de l'ordinateur, un objet lourd et encombrant, créant de la distance, se trouve à présent dans le smartphone qui concentre encore davantage les notifications et les flux d'informations, au plus près de nous et en permanence.
Les réseaux sociaux sont la négation d'un site Internet, ou même d'un blog, comme les smartphones sont la négation de l'outil informatique. Les réseaux sociaux sont un tunnel obscur où ce qui transite est liquéfié et comprimé. Un canal sous haute pression où n'est tolérée aucune aspérité qui puisse interrompre le débit en croissance exponentielle.
Ceux qui n'ont pas connu le Web du début des années 2000 ne savent pas à quel point celui-ci était vaste et diversifié, et donc imprévisible. Et n'ayant pas connu ce qui fut jadis un formidable terrain de jeu, d'invention et d'expérimentation, il est facile de vendre de la merde comme si c'était quelque chose d'innovant et de positif.⁴
Fort de ce constat, si je suis honnête avec moi-même au sujet de mes usages, de mes attentes... En réalité, qu'ai-je à dire ou à faire sur les réseaux sociaux en 2025 ? Rien, si ce n'est faire de l'auto-promotion et essayer vainement, de façon plus ou moins détournée, de financer mon travail.
Rien, si ce n'est rechercher la validation personnelle que je crois à tord ne pas trouver dans la réalité physique, alors que précisément ce sont ces réseaux qui déforment horriblement l'image que j'ai de moi-même en tant qu'humain, qu'artiste et que développeur.⁵
Je ne suis pas adapté à ce système. Et personne ne devrait l'être. La génération Z, dont le cerveau est totalement flingué par ces parasites tentaculaires, est divisée en deux catégories distinctes : les abonnés et les influenceurs. Il n'y a pas d'entre-deux.
Tous les réseaux sociaux sont maintenant conçus pour ça. Conçu pour créer des prédateurs de l'attention et des proies qui n'ont ni la discipline ni le recul pour appréhender la nature exacte de ce qui se joue.
Les réseaux sociaux ne sont pas slow et ne sauraient l'être. Ils sont incompatibles avec la décroissance et la sobriété volontaire, puisque leur infrastructure requiert des machines physiques qui consomment des ressources injectées dans toutes sortes de processus dont on comprend bien à ce stade que la finalité est de vous conditionner, en vue de vous vendre toujours plus de vacuités. En dernière instance, supprimer toute résistance en vous enfermant dans le doom scroll, annihilant ce qu'il reste de capacité au cerveau à prendre des initiatives EN DEHORS du cadre de ces applications.
Parce qu'à ce stade, ce qu'il peut bien rester de volonté d'exister dans nos vies, dans la réalité physique, est alloué à la mise en scène de soi. Ce n'est même plus inconscient, c'est culturel. L'absence de connexion Internet rend maintenant terne, morose et sans saveur n'importe quel moment hors ligne. C'est même vécu comme une perte de temps. C'est Internet qui donne du sens à la réalité physique et plus l'inverse. Ça n'est plus un moyen, c'est une fin.
Il faut donc sans surprise réapprendre à vivre en dehors du cyber-espace, celui que l'on nous a vendu et qui est en réalité un abyssal égout à merde que nous avons été massivement encouragé à alimenter par nos feeds débilitants.
D'autres avant moi l'on abondamment formalisé et théorisé, bien mieux que je ne le ferais ici.
On ne peut pas dire qu'on ne savait pas. Non seulement on le sait, mais en plus on le ressent : une lancinante douleur dans notre esprit et notre chair nous habite constamment.
Mon propos est donc de dépasser le constat. De me libérer de la honte et de la culpabilité totalement artificielles de n'être que ce que je suis, pour pouvoir à nouveau m'autodéterminer.
Pour pouvoir créer le fond, la forme et les canaux.
Et peut-être en inspirer d'autres après moi comme je m'efforce d'être le prolongement de ce que les autres, avant moi, ont fait de beau et de bien.
Des personnes nostalgiques de ce qu'a été et devrait être Internet ont redonné un second souffle à l'âge d'or du Web en créant des plateformes d'hébergement comme Nekoweb⁶, qui prend le contrepied de l'Internet contemporain en pastichant ce Web d'antan fantasmé.
La communauté de Nekoweb se rassemble autour de cet idéal d'un Internet artisanal co-construit et co-inventé, en mettant en œuvre des mécanismes "sociaux" eux aussi artisanaux. Le résultat est à la limite du lisible, du fonctionel et de l'ergonomique. Et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est incroyablement rafraîchissant et euphorisant. Et le plus enthousiasmant dans tout ça c'est que, contre toute attente, la communauté de Nekoweb n'est pas composé de vieux geek barbu ruminant, mais est en fait très jeune et diversifiée. Entre 15 et 25 ans, queer et nerd. C'est un coin du Web rayonnant littéralement de mille couleurs, où ceux qui prennent part à l'aventure n'ont pas peur de programmer⁷ et n'ont aucune ambition performative. C'est un web low-tech dont les limites techniques⁸ ne sont plus une contrainte mais au contraire un moteur pour la créativité. On peut difficilement faire plus décomplexé et fun que ça. Punk en somme !
Il y a donc plus que de l'espoir, il y a un retour au paradis perdu. Pas de SEO⁹, ni de responsive design¹⁰ là-bas. Un effet très amusant de cette absence de "bonnes pratiques" de développement est que ces sites ne s'afficheront pas correctement sur des smartphones. Il est aussi très peu probable que vous découvriez un site hebergé sur Nekoweb ou Neocities par un moteur de recherche dont le fonctionnement ne valorise pas ce type de pages.
Comme une multitude de Sirāt¹¹ entre deux mondes incompatibles. Ces sites artisanaux comportent souvent des liens vers les réseaux sociaux du Webmaster, dont les différentes pages de profils renvoient elles-mêmes vers ce petit monde subversif.
Mais ça ne suffit pas. Parce que nous voulons tuer cet Internet que les capitalistes et les technocrates ont créé pour tuer en premier lieu ce que nous possédions de beaux et de libre dans le Web, ou ailleurs.

Le 12 septembre 2025 dans le contexte d'un nouveau grand mouvement de lutte sociale en France, et d'une crise de sens personnelle, je répondais sur un thread de Thierry Crouzet. Il y est question de notre volonté de changer le monde pour le mieux tout en s'organisant, et je cite Thierry, « avec les outils les plus invasifs et liberticides jamais inventés par le capitalisme ».
Je suis partagé entre deux postures. L'idée que les gens ont l'Internet qu'ils méritent parce que nous avons laissé les géants de la tech en faire la poubelle dégueulasse¹² dans laquelle nous nous compromettons et nous nous salissons chaque jour avec complaisance. D'un autre côté, j'entends bien aussi qu'on ne peut pas être expert en tout et qu'il est difficile de mener de front plusieurs batailles.
À l'instar d'Internet, la ville est défigurée par les annonces commerciales, les vitrines de magasins vides éclairées de nuit et ce que j'appelle « l'absence de traces et vestiges de passages d'êtres sensibles »¹³. Mais toutes les villes ont des angles morts, et toutes les villes ont des zones d'ombre. Il est possible, par l'entreprise du territoire de recréer du mystère et de la magie. Entre cyberpunk et street-art engagé, il est possible de reprendre en main les espaces urbains et Internet. Il est possible de recréer du lien social dans le monde matériel et dans le cyber-espace.
Ce qui me semble adapté à cette fin, c'est l'utilisation de QRcodes sauvages. Il s'agit de créer des liens durables et physiques vers des espaces de pensée et de création eux aussi durables et faisant sens dans notre contexte. À la fois discret et très facilement reconnaissable, c'est une façon amusante de détourner son utilisation dont l'origine provient du monde de l'industrie automobile.

En effet, utilisé sans texte ou fioriture, pour annoncer ou suggérer ce dont il peut s'agir, c'est une excitante porte vers l'inconnu. Mais il est aussi possible d'habiller le QRcode d'un graphisme, ou même de l'incorporer à une œuvre ambitieuse. Dans tous les cas, et parce que le procédé de mise en place demande un effort, cela sous-tend que la destination du QRcode en vaille la peine. Et peut-être plus important encore, que le QRcode ne renvoie pas vers ce Web qui nous rend malade. Il ne faut donc surtout pas renvoyer le public potentiel vers des réseaux sociaux, particulièrement ceux appartenant aux géants de la tech desquels je souhaite détourner les gens. Il faut exclure, et ça n'est pas négociable, tout lien vers des pages comportant de la publicité. Privilégions plutôt les articles de blog, les sites expérimentaux s'inscrivant dans le webpunk et le netart, les pages personnelles, éventuellement les portefolios d'artistes. Les articles Wikipédia, les manifestes politiques, les livres en accès libre sur Internet, les mèmes, les webcomics. Tout ce qui valorise la création et participe à l'éducation populaire.
Pour celleux qui se promènent, cela requiert de la curiosité. Le choix de l'emplacement d'un QRcode va attiser l'intérêt ou au contraire noyer notre sigil dans les innombrables signaux qui peuplent les murs de la ville.
Il existe plusieurs façons de déposer des QRcodes. Par exemple, on peut investir dans des stickers autocollants, mais ceux-là ont une faible durée de vie. On peut aussi bétonner où c'est physiquement possible un QRcode imprimé ou gravé sur un support rigide, mais c'est beaucoup plus compliqué et onéreux. On peut également imaginer des flyers imprimés sur du papier bon marché déposé dans des bars, des locaux d'association ou des lieux publiques, mais ça a le désavantage de créer des déchets et de ne pas être durable, au sens où ceux-là finiront jetés ou éparpillés aux quatre vents.
La meilleure approche selon moi, qui combine durabilité, facilité de mise en œuvre, faible coût et précision, c'est la fabrication de pochoirs. Un pochoir peut être fait avec une plaquette de bois et une découpeuse laser, dont les fablabs sont souvent dotés. Le résultat est très précis et il est possible en général de faire d'assez grandes pièces. Mais tout le monde n'a pas accès à un fablab et donc à une découpeuse laser. L'autre approche, et c'est celle que je vais présenter ici, c'est l'impression 3D.

Il y a plusieurs façons de générer un QRcode.
On peut le faire depuis une application web, enregistrer l'image bitmap, vectoriser celle-ci, puis importer le résultat dans Blender. Pour avoir essayé, je trouve le procédé laborieux pour tout un tas de raisons. L'idéal est d'avoir un générateur de QRcode intégré à Blender. Il existe justement à cet effet des modules qui permettent de faire ça.
Personnellement, j'utilise meshqrcode, qui est comptabible avec Blender 4.4.

Pensez à configurer correctement le paramètre QRcode Solidify pour avoir du volume et une épaisseur de pochoir suffisante.
2mm est un bon compromis entre souplesse et rigidité.
En général, les imprimantes 3D on une surface d'impression entre 25 cm² et 30 cm². Ça laisse de la marge pour une impression d'au minimum 20 cm². Plus vous avez un large pochoir, plus ça sera facile à utiliser et à nettoyer.
Une fois le QRcode généré, il faut créer un quadrillage qui va permetre de maintenir ensemble les parties du QRcode qui ne sont pas connectées.
C'est assez facile : il faut créer un cube (Mesh) avec la fonction Add > Cube.

Ensuite, redimensionnez celui-ci avec les valeurs suivantes pour obtenir une sorte de tige :
- x: entre 1 mm et 2 mm, correspond à l'épaisseur du maillage.
- y: la largeur exacte de votre QRcode, par exemple 250 mm.
- z: 2 mm, doit correspond à l'épaisseur du QRcode.
N'oubliez pas d'appliquer les transformations avec Apply all transforms.
Vous devriez vous retrouver avec deux objets comme ci-dessous :

Il faut maintenant aligner notre tige sur le bord gauche du QRcode. C'est très important que l'objet soit correctement aligné. À la fois sur le bord gauche, mais aussi de sorte que la tige ne dépasse ni par le haut, ni par le bas. Pas besoin d'une précision nanométrique, mais plus c'est ajusté, mieux c'est.

On va maintenant ajouter un modificateur Array à notre tige. Il faut
que le nombre d'occurrences (le paramètre Count) de l'objet corresponde au nombre de colonnes de
notre QRcode, plus un.
Enfin, avec le paramètre Factor X on règle l'alignement de chaque tige composant la grille.

Il n'y a plus qu'à appliquer le modificateur, dupliquer la grille et effectuer une rotation de 90° sur cette dernière. Si nécessaire, repositionnez manuellement la copie de la grille pour que tout soit bien propre et aligné. Vous devriez normalement avoir un beau quadrillage comme ci-dessous.

Vour pouvez maintenant exporter les trois objets vers un ficher STL. Celui-ci devrait ressembler à quelque chose comme ça :
Vous pouvez passer le fichier 3D dans le Slicer de votre choix, préparer le G-code et lancer l'impression.
Au bout de quelques heures, vous devriez avoir un beau pochoir en plastique. Selon la qualité d'impression,
de vos réglages ou du filament utilisé, vous pourriez avoir ce que l'on appelle des cheveux d'anges.
Ça n'est pas un problème s'il n'y en a (dans une certaine mesure), et il conviendra de nettoyer au mieux avec une pince et une lime pour
retirer toute imperfection résiduelle. En effet, avec la peinture à bombe, il risque de se former des gouttes qui finiront par coaguler et s'accumuler
à force d'utiliser le pochoir.

Une fois que votre pochoir est prêt, il faut établir un périmètre d'action.
Un QRcode ne devrait jamais être apposé sur les murs d'une propriété privé ou d'une administration. Ni sur du mobilier urbain dont l'intention esthétique est d'embellir la ville. Ni sur des monuments historiques. Un QRcode ne devrait pas entraver les signalétiques de la ville, ni être ostentatoire, ni être une nuisance en aucune façon.
L'exercice n'est donc pas simple. Les emplacements idéals pour commencer sont les surfaces lisses de béton industriel que l'on retrouve sur les pylônes, sous les ponts ou certains vieux murs ou murets en marge du centre. Les spots urbex ou les espaces admis pour le street-art sont idéals. Éventuellement, certains bords de route, trottoirs ou pistes cyclables.
Autant que possible il faudrait éviter les surfaces verticales, parce que c'est prendre le risque que le pochoir bave et que la peinture coule. Si le geste est maîtrisé et que le pochoir est solidement fixé, ça peut tout de même se tenter.

Pour ce genre de cas, prévoyez de la pâte à fixe ou du ruban adhésif. Si malgré tout, la peinture a coulé, le QRcode a toutes les chances d'être inutilisable. Le mieux est alors de l'effacer, avec une bombe de peinture grise ou blanche, et de recommencer plus tard.
Il faut également s'assurer que la surface de destination soit propre et de couleur uniforme. Votre QRcode requiert le plus de précision possible pour maximiser les chances qu'il puisse être scanné correctement.
Enfin, munissez-vous d'un chiffon pour essuyer le pochoir immédiatement après chaque usage et ainsi éviter que des croûtes ou des bouchons se forment entre chaques cellules.
Avec ces instructions et quelques règles de bonne conduite, vous devriez pouvoir vous amuser, tout en réinventant notre rapport à Internet et le partage en général. Sur ce dernier point, il peut s'agir de vos travaux ou ceux des copains et copines. D'ailleurs, si vous partagez votre propre travail de cette façon, je vous recommande de partager aussi d'autres choses, réalisées par d'autres personnes. Comme ça, vous diminuez le risque d'être trop associé·e aux QRcodes que vous avez apposés.
Après avoir mis en pratique ce projet, et ayant eu des retours ou simplement en observant, l'expérience a montré que les gens, quand ils sont habitués à un endroit et que quelque chose d'inhabituel apparaît, ceux-là sont extrêmement intrigués.
Et ça les ami·e·s, c'est au moins une bataille de gagnée !
- ¹ On me dit dans l'oreillette que c'était un moyen de se tenir informé de ce qu'il se passait dans la famille, dans nos cercles d'ami·e·s ... Mais ce n'est pas précisément à ça que servent les mails ? Le téléphone ? La vie sociale dans le monde physique ? Nos vies sont-elles si passionnantes et extraordinaires qu'il faille en faire une tribune par l'entremise d'entreprises privées aux motivations moralement discutables ?
- ² Cette analyse systématique et cette surveillance de masse sont facilitées par le fait que les réseaux sociaux imposent un cadre et des contraintes qui sont fallacieusement compris comme des usages et des conventions. C'est beaucoup plus facile d'analyser des tendances quand les données à traiter sont limitées en taille ou que les utilisateur·rices sont encouragé·e·s à utiliser des hashtags qui servent moins à nos abonnements qu'au data-mining industriel.
- ³ La plupart des gens ignorent totalement ce que peut bien être un flux RSS ou Atom. Posez la question à votre entourage pour voir. C'est devenu un obscur jargon technique de professionnel du Web. Une technologie que personne n'utilise et qui s'est sournoisement fait remplacer par un intermédiaire sans scrupule.
- ⁴ On parle de merdification. Ça ne concerne pas qu'Internet, mais toute chose que produit ou touche le capitalisme. C'est un effet de bord de l'optimisation des coûts de production et de l'accumulation de la dette technique qui en résulte.
- ⁵ La malfaisance absolue des réseaux sociaux commerciaux étant qu'en fait ceux-là parviennent aussi à invisibiliser et rendre désuète les relations de valeurs que l'on a dans la réalité physique, phagocytant notre attention, en créant un constant sentiment d'impuissance et d'anxiété. Une violence numérique qui est intrinsèque à ces technologies et qui est micro-dosée en permanence : une notification qui ne vient pas, un message "lu" sans réponse, un abonnement qui n'est pas réciproque ...
- ⁶ On pourrait également citer Neocities qui est plus ancien et dont le fonctionnement et la démarche sont similaires. Plus radicale et sobre encore : Gemini ou Gopher. Et enfin Dead Drops, qui se rapproche à bien des égards de ce que je souhaite faire ici.
- ⁷ Arnaud Pessey écrit dans "J'ai grandi sur Internet et je ne sais plus quoi en faire" : "À l'époque de MySpace et de ses équivalents français, l'Internet permettait encore cette appropriation créative. Les utilisateurs pouvaient personnaliser leurs profils avec du code CSS, créer des arrière-plans paillettes, composer leurs propres layouts. « MySpace a montré au monde que si vous rendez des outils puissants et compliqués (comme le code) accessibles à tous, les gens sont assez intelligents pour comprendre comment les utiliser » résume Jarred Sumner. C'était un terrain de jeu créatif où l'expression personnelle primait sur l'optimisation algorithmique".
- ⁸ Ces services d'hébergement sont orientés sites statiques.
- ⁹ SEO est l'acronyme de Search Engine Optimization, c'est l'ensemble des techniques visant à faire remonter dans les résultats de moteurs de recherche le site qui les met en œuvre.
- ¹⁰ Le responsive design est l'ensemble des techniques visant à rendre une application (le plus souvent une application Web) capable de s'adapter à tout type de support (smartphones, tablettes, ordinateurs, ...) dont les résolutions et les capacités d'affichage peuvent varier.
- ¹¹ Il s'agit d'un mot arabe désignant, dans la religion musulmane, un pont au dessus de l'enfer menant au paradis pendant le jugement dernier.
- ¹² Si l'on m'avait dit vingt ans plus tôt qu'il était possible de polluer Internet, j'aurais été bien incapable d'imaginer ce à quoi cela ressemblerait, ni ce que ça impliquerait.
- ¹³ Voir System Log 0x00, 2013.
- ¹⁴ Je dois cependant reconnaître que ces réseaux sociaux m'ont permis de rencontrer mes meilleurs amis. Il est aussi bon de rappeler que ceux-là même, s'ils reproduisent des mécaniques toxiques, ont le mérite de ne pas participer ouvertement à une politique fasciste. Par exemple, sur Mastodon, une large campagne de protection de Palestiniens qui résident à Gaza a permis de sauver de nombreuses vies. Les comptes de ces Palestiniens se sont vus censurés ou supprimés des plateformes comme Facebook, Twitter et même Bluesky... Les réseaux sociaux libres, s'ils sont bien utilisés en dépit de leur conception, peuvent donc faire une énorme différence positive.
Merci à Jérémy pour la relecture ♥